« Une véritable guerre psychologique sur fond de souveraineté alimentaire »
Arthur Portier est agriculteur à Andeville (Oise), mais il est aussi consultant chez Agritel et un expert reconnu
sur le marché des matières premières agricoles. Le 26 juillet dernier, il nous a livré son analyse sur le marché actuel au vu des dernières actualités de la planète et notamment sur le front de la guerre en Ukraine.
Arthur Portier est agriculteur à Andeville (Oise), mais il est aussi consultant chez Agritel et un expert reconnu
sur le marché des matières premières agricoles. Le 26 juillet dernier, il nous a livré son analyse sur le marché actuel au vu des dernières actualités de la planète et notamment sur le front de la guerre en Ukraine.

La Russie a choisi de ne pas prolonger l’accord qui permettait l’exportation par bateaux des céréales par la mer Noire. Fallait-il s’y attendre ?
En août 2022, sous l’égide de l’ONU, et avec l’aide de la Turquie, un accord a été trouvé, ce fameux corridor, pour permettre à l’Ukraine de continuer à exporter. À noter que jusqu’à présent, c’est le seul pas en avant, l’unique rapprochement qui ait été possible entre l’Ukraine et la Russie.
Ce corridor temporaire a été reconduit en novembre 2022, en mars, puis en mai 2023. Il a quand même permis à l’Ukraine d’exporter 33 Mt de grains (céréales et oléoprotéagineux), ce qui a entraîné une détente des prix mondiaux qui avaient flambé au début du conflit. Avant la mise en place du corridor, en mai 2022, le blé Euronext était à 430 €/t ; en juillet 2022, quand l’accord était en vue, il est descendu à 350 €/t et aujourd’hui (prix au 26 juillet dernier, NDLR), il est à 225 €/t.
Le 17 juillet dernier, Vladimir Poutine a fait savoir qu’il suspendait le corridor car l’Union européenne n’a pas répondu favorablement à ses revendications, à savoir la réintégration de la Banque agricole russe dans le système bancaire Swift.
Il s’est également dépêché de clamer auprès des pays importateurs, notamment africains, que si l’Ukraine ne pouvait plus exporter, entraînant sans doute une hausse des cours, c’était la faute des Occidentaux. Il a aussi rappelé que la Russie était prête à exporter sa marchandise auprès de clients privés ainsi du blé ukrainien. »
L’Ukraine a-t-elle d’autres moyens d’exporter ?
Dès l’annonce de la fin de l’accord, le cours du blé a légèrement augmenté. Que faut-il en penser ? Est-ce durable ?
Peut-on imaginer d’autres répercussions de la décision russe ? C’est sans doute un acte totalement politique.
Comment sont les récoltes en Ukraine et Russie dans le contexte que nous connaissons ?
Quelles conséquences cette décision peut-elle avoir sur les débouchés de la récolte en cours en Europe et en France ?
Aujourd’hui, on ne manque pas de blé dans le monde. Ce qui pèse, c’est la fluidité des transports et la facilité à exporter. Notre blé est plus cher, mais il est facilement transportable. Si le conflit Ukraine-Russie perdure, comme l’Ukraine a fait les mêmes annonces que la Russie en ce qui concerne les bateaux qui navigueraient en mer Noire, cela peut devenir compliqué pour la Russie d’exporter son blé car il serait très coûteux d’assurer des bateaux dans une zone jugée non sécuritaire. Cela pourrait redonner de l’attrait aux blés européens et français.
Dans ce contexte de tension et de concurrence accrue sur l’arme alimentaire, je ne peux que déplorer les politiques européennes en matière agricole et environnementale qui portent en elles une baisse de la production du fait de la limitation des moyens, que ce soit le refus des NBT (New Breeding Technologies) ou le retrait constant de produits phytosanitaires. Sans parler de la jachère !
Si on élargit notre vision au monde et qu’on ne se borne pas au court terme, en s’appuyant sur des bases scientifiques sûres, il est possible de développer notre production tout en préservant l’environnement et assurer ainsi notre sécurité alimentaire et celle de ceux qui dépendent de nous. Il nous faut des politiques publiques à la hauteur des enjeux. »