Femmes et agricultrices : accord possible et épanouissant !
Trois femmes, trois générations et trois parcours différents mais une même envie : celle de l’agriculture. Emma, Coralie et Karine sont agricultrices ou en passent de le devenir. Elles nous expliquent comment leur statut de femme a pu parfois les freiner sans toutefois entacher leur avenir dans le milieu.
Trois femmes, trois générations et trois parcours différents mais une même envie : celle de l’agriculture. Emma, Coralie et Karine sont agricultrices ou en passent de le devenir. Elles nous expliquent comment leur statut de femme a pu parfois les freiner sans toutefois entacher leur avenir dans le milieu.

Karine Lesouef, 52 ans, agricultrice à Domjean (50)
Se faire confiance et ne pas hésiter à se faire épauler

À la tête d’une ferme laitière dans la Manche depuis 26 ans, Karine Lesouef n’avait initialement pas imaginé son parcours dans l’agriculture. En effet, après un Deug et une licence en chimie, elle enchaîne différents petits boulots. Après cette période où elle se sent un peu perdue, elle rencontre son mari et cherche à rebondir. Elle se dirige donc vers un BTS Acse dans l’optique de s’installer. C’est chose faite le 1er janvier 1999 mais non sans difficulté. Que ce soit au niveau du foncier, de l’accord bancaire ou encore de la relation entre générations sur l’exploitation, son statut de femme, qui n’était pas du secteur et pas issu directement du milieu agricole, n’a pas facilité les choses.
Par la suite, elle vivra, comme de nombreuses femmes, des situations misogynes.
« Je me souviens d’une fois où le vétérinaire est venu vérifier l’état d’une vache sur laquelle on avait pratiqué une césarienne la veille au soir. Quand il m’a vu, il a demandé à voir un homme, j’étais toute seule donc je lui ai dit que c’était moi ou personne d’autre. Ce n’est pas comme si je n’étais pas capable d’isoler la bête toute seule ! » Elle regrette que certains comportements de ce genre persistent mais note tout de même une grande amélioration sur le sujet au fil des années. Karine ne demande pas une égalité “à 50/50” car elle admet ne pas pouvoir effectuer certaines tâches mais elle souhaite qu’on offre des possibilités aux femmes, qu’on respecte leur travail et qu’il y ait de l’entraide que ce soit sur la ferme mais aussi au sein du foyer. « C’est valable au niveau agricole mais plus globalement dans notre société ! Chez nous ça fonctionne très bien ».
Si Karine a un conseil à donner aux femmes qui souhaiteraient se lancer, c’est de se faire confiance et ne pas hésiter à se faire épauler. « Ce qui m’a semblé le plus dur c’est le moment où mes enfants étaient petits : les garder, les emmener à l’école, tout tombait pendant la traite. Il faut organiser la logistique familiale et concilier le tout avec la vie professionnelle ». Après avoir passé ce cap, Karine s’est toujours dit qu’elle voulait s’engager. « Avec l’école, les activités des enfants, on a toujours des contacts, j’avais besoin de continuer à avoir des échanges, de ne pas être cantonnée à la ferme ou à la maison et tourner en boucle. Depuis que j’ai des responsabilités (administratrice MSA et nouvellement élue à la Chambre), nous avons revu notre répartition des tâches, nous avons une autre organisation, c’est un nouvel équilibre qui a ramené du punch dans notre vie ».•
Propos recueillis par JA Normandie
Coralie Desile, 26 ans, récemment installée à Mesnil-sur-Iton (27)
Ne pas avoir peur, ne pas douter de nos capacités

Installée depuis janvier 2023 avec son père sur une ferme céréalière de l’Eure, Coralie Desile est passionnée par l’agriculture depuis l’enfance. Elle a pourtant réalisé une seconde professionnelle dans un autre domaine avant de reprendre le chemin de l’agriculture pour le restant de ses études. Hormis quelques problématiques physiques, comme le fait de manquer de force pour certaines tâches, elle n’a rencontré aucune difficulté liée au fait d’être une femme dans le milieu. Au contraire, elle a toujours voulu montrer qu’elle pouvait faire autant que son frère ! Avant de s’installer, Coralie a passé son permis poids lourd et super-lourd et réalisé du transport de céréales. Au volant de son semi, elle s’est fait remarquer mais elle n’a jamais pris méchamment les commentaires qui lui ont été faits, loin de là !
« Ils étaient plutôt surpris mais surtout impressionnés lorsque j’avais terminé ma manœuvre. J’ai eu des retours comme quoi ‘’la gamine’’ se débrouille bien, ça fait plaisir ! » Les agriculteurs n’ont pas encore l’habitude de voir beaucoup de femmes mais cela change, ils participent eux aussi à leur intégration. « Ils sont plutôt moteurs car ils proposent facilement des coups de main, lorsqu’on manque de force par exemple. » Pour Coralie, il est important de passer des messages positifs à toutes les femmes qui voudraient rejoindre le milieu agricole. « Mener la moissonneuse, semer, déchaumer… j’aime prouver que je suis capable de tout faire comme un homme, au final on fait le même métier ! Alors si j’ai un conseil à donner aux femmes qui souhaiteraient se lancer, c’est de ne pas avoir peur, ne pas douter de nos capacités, quand on a la motivation et la passion il n’y a pas de raison de moins bien y arriver qu’un homme ! »•
Propos recueillis par JA Normandie
Emma Malandain, 19 ans, étudiante au lycée agricole d’Yvetot
Un regard différent

Actuellement en BTS productions animales en alternance en Seine-Maritime, Emma Malandain ne rencontre aucune problématique liée au fait d’être une femme dans son cursus. D’ailleurs, dans sa classe il n’y a que cinq hommes sur un total de 23 étudiants. Pour elle, l’évolution des mentalités dans le domaine agricole permet de s’ouvrir et de montrer que les formations sont accessibles à tous, peu importe le sexe. Cette tendance se confirme par les chiffres avec une quasi-parité dans l’enseignement agricole (48 % de femmes, source : DGER 2023). Dans certaines catégories de diplômes, les chiffres sont encore plus élevés, c’est le cas des formations liées aux productions animales qui attirent particulièrement les femmes. Et ça ne s’arrête pas là puisque la loi d’orientation agricole ambitionne d’accroître leur nombre dans les formations ou encore de sensibiliser les maîtres de stage et d’apprentissage à l’accueil de femmes.
Dans son quotidien à la ferme, Emma n’a aucun complexe à demander de l’aide aux hommes quand elle n’arrive pas à accomplir une tâche et, inversement, elle rend la pareille. Pour elle, ce n’est pas forcément lié au fait d’être une femme ou un homme mais plutôt au principe d’entraide qui permet de faire appel aux compétences et atouts de chacun. C’est le cas en période d’agnelage où son patron n’hésite pas à faire appel à elle.
« J’ai la main plus fine donc je peux facilement fouiller les brebis sans leur faire de mal, lorsque le col est moins ouvert ».
Si elle ne ressent pas d’inégalités particulières, elle admet ressentir un regard différent de la part des personnes extérieures. « Un truc tout bête mais quand je suis en tracteur, j’ai toujours l’impression que les regards sont méfiants parce que je suis une femme et qu’il faut soi-disant faire plus attention. Même si ce n’est pas dit de vive voix, ça se ressent fortement que ce soit de la part d’hommes mais aussi de femmes ! ».•
Propos recueillis par JA Normandie
Ce qu’en pensent les hommes ?
Lors d’une séquence dédiée aux futures et nouvelles agricultrices lors de la session RGA (renouvellement des générations en agriculture) de JA National, Thibaut Giraud, éleveur dans la Manche, s’est exprimé sur le sujet. « À nous aussi, en tant qu’hommes, de faire de la place aux femmes en étant présent dans la gestion du quotidien familial par exemple. Ma femme travaille à l’extérieur mais c’est la même chose, nous nous sommes organisés pour emmener notre petite fille chez la nounou ou pour la garder, ce n’est pas plus à l’un ou l’autre de gérer. Ça peut encore choquer dans la campagne mais c’est notre rôle de faire évoluer les mentalités sur le sujet. »
Des organismes professionnels mobilisés
Sujet de société, les femmes en agriculture font l’objet de nombreux documentaires, comme celui d’Édouard Bergeron, Femmes de la Terre, diffusé en 2024 ou plus récemment le Grand Reportage de TF1 Agricultrices : entre passion et défis ou le podcast de Radio France, Agriculture : les femmes creusent leur sillon. Si ces émissions redonnent de la visibilité au rôle des agricultrices d’hier et d’aujourd’hui et soulignent les freins qu’elles subissent, il faut surtout se mobiliser pour les lever.
Pour répondre à cet objectif, la profession agricole a mis en place différentes initiatives. C’est le cas de la MSA qui a publié fin 2024 un livre blanc qui fait état de 15 propositions pour lever les freins à l’exercice du métier et dont certaines caisses ont organisé des ciné-débats à ce sujet. En ce début d’année, les Chambres d’agriculture de Normandie ont également lancé un dispositif de mentorat dédié aux femmes. Le but : faciliter les échanges entre les personnes ayant un projet d’installation et les agricultrices qui ont déjà franchi ce cap. Le travail se poursuit pour accueillir de nouvelles agricultrices !