Arnaud Crétot, un entrepreneur solaire
NeoLoco est une boulangerie-torréfaction artisanale normande organisée autour de son four solaire. Rencontre avec son créateur.
NeoLoco est une boulangerie-torréfaction artisanale normande organisée autour de son four solaire. Rencontre avec son créateur.







Quand on parle de torréfaction on pense tout de suite au café. Pourtant ce procédé ancestral ne concerne pas que les grains de café. « On peut tout torréfier. Par exemple, le paprika est du poivron torréfié réduit en poudre. Une épice n’est pas forcément quelque chose qui vient de loin. Il est tout à fait possible de faire des épices avec des graines locales. Nous mangeons quotidiennement des produits torréfiés : les cacahuètes, les épices, le chocolat et le café, la bière… », explique Arnaud Crétot qui torréfie des graines de pois chiche ou de lentilles et d’orge maltée pour proposer un substitut au café.
La particularité de cette torréfaction est qu’elle est réalisée dans un four solaire, installé dans le jardin d’Arnaud Crétot, à Bosc-Guérard, qui a créé l’entreprise NeoLoco en 2019. Le torréfacteur est également boulanger. Il cuit environ 200 kilos de pains par semaine dans son four, et approvisionne une centaine de familles rouennaises.
Les enjeux environnementaux sont plutôt sociaux que techniques
De formation ingénieur dans le domaine de l’énergie (Polytech à Nantes), Arnaud Crétot est issu du milieu agricole et originaire de Normandie. « En 2010, j’ai fait un voyage d’études dans une vingtaine de pays du monde. J’ai découvert des projets énergétiques très différents et j’ai réalisé que les enjeux énergétiques sont beaucoup plus sociaux que techniques. Les manières de travailler, les savoir-faire sont parfois plus importants que la technique ».
En 2014, il rejoint Lytefire, une entreprise sociale finlandaise en tant que directeur technique. Lytefire développe des techniques pour convertir la lumière du soleil en chaleur directe. L’entreprise développe des concentrateurs solaires pour alimenter des activités artisanales (four à pain, torréfacteur). Les outils solaires mis au point par cette entreprise alimentent aujourd’hui plusieurs boulangeries solaires dans différents pays du Sud, notamment en Afrique, en partenariat avec des ONG internationales et entrepreneurs locaux.
Premier boulanger solaire en Europe
Arnaud a quitté Lytefire et a installé un four solaire chez lui, pour développer son activité de torréfaction et de boulangerie sous le soleil de Normandie. Devenu le premier boulanger solaire en Europe, il accueille de nombreuses personnes qui découvrent une nouvelle façon de transformer les aliments grâce à l’énergie solaire concentrée.
Plutôt que de faire venir de la matière première des quatre coins du monde, Arnaud Crétot décide de mettre en valeur les graines locales qu’il torréfie dans son four. Aujourd’hui, il vend différents produits à base de graines torréfiées, à déguster à l’apéritif, ou au petit-déjeuner.
Son substitut au café, l’Éveil résistant, à base de lentilles vertes ou de pois chiche a reçu le Trophées de l’agroalimentaire 2023 par l’Area (Association régionale des entreprises alimentaires) Normandie. Cette reconnaissance a permis à NeoLoco de bénéficier d’un test consommateur qui a montré que deux tiers des dégustateurs ont été convaincus que cette recette pouvait remplacer le café. « La torréfaction a été oubliée et abandonnée à l’industrie. Le meilleur exemple est le café : cela n’a pas de sens de faire venir les graines du Guatemala. Avant que le café soit dominant, les gens consommaient des boissons à base de châtaignes ou de pois chiche torréfié ».
Le boulanger torréfacteur rappelle également que le bilan carbone du café est une catastrophe environnementale : « 89 % de l’impact négatif du café vient de la déforestation et du transport international. Proposer une alternative avec des produits locaux torréfiés au four solaire permettrait de lever cet impact négatif à hauteur de 87 % ».
Nourrir tout le monde de façon durable
« Les pratiques boulangères actuelles correspondent à un contexte d’après-guerre, mais ne correspondent plus au contexte énergétique d’aujourd’hui : avant la seconde guerre mondiale, il existait des savoir-faire très locaux, avec l’utilisation de différents levains et donc la fabrication de pains différents en fonction des régions. Au lendemain de la guerre, la formation CAP boulangerie se développe car il fallait nourrir tout le monde. Mais aujourd’hui le contexte énergétique a changé. Il faut donc adapter nos pratiques. Avec l’épuisement des ressources, le modèle actuel pourra-t-il encore fonctionner dans 50 ans ? L’enjeu est maintenant de pouvoir nourrir tout le monde évidemment mais pour longtemps ».
Dans cette optique, l’ingénieur a installé un four solaire Lytefire : des concentrateurs solaires, composés de miroirs alimentent un four en chaleur. 69 miroirs en verre alignés sur 11 m². Montés sur roues, ils suivent le soleil, et sont orientés pour réfléchir les rayons vers la vitre du four. « Cela chauffe très vite, à la même température qu’un four de boulangerie classique. Quand il n’y a pas de soleil, on se rabat sur le four à bois. La quantité de mes pains cuits avec le solaire est d’environ 30 % chaque année ».
Arnaud Crétot donne également des conférences dans des écoles d’ingénieur. « J’explique qu’il est important d’être capable de sortir de la pratique courante si cela est nécessaire. Arrêtons de transmettre des pratiques et des croyances si les raisons qui les ont fait naître ne sont plus d’actualité. Il faut remettre en cause nos pratiques car nous ne pouvons pas transmettre aux générations futures les ressources que nous utilisons aujourd’hui ».
Assez d’ensoleillement en Normandie
Ses pains sont livrés sur différents points de vente à Rouen. Et de nombreuses boutiques commercialisent les produits torréfiés qui sont également disponibles à la vente sur la boutique en ligne. Aujourd’hui quatre personnes travaillent chez NeoLoco. L’organisation du travail est calée sur les conditions météo : « De nombreux essais ont été faits pour chercher les marges de manœuvre qui permettent de faire coïncider au mieux le moment de la cuisson à l’ensoleillement. L’important est de maintenir un stock à un certain niveau et la Normandie a suffisamment de jours de soleil, même en hiver, pour y arriver. ».•